Auteur: Antonio Moreira

 

La loi sur le droit du travail tient la corde de l’actualité et double les primaires américaines ou les réfugiés-migrants de justesse. Mais au-delà de son contenu, c’est son caractère virtuel qui est remarquable. Voilà donc une loi qui n’a pas encore franchi le seuil du conseil des ministres et qui déjà fait des victimes, à commencer par sa principale promotrice, la ministre du travail El Khomri, atteinte d’une grosse fatigue et hospitalisée pour examens. Serait-elle mort née, avant même son adoption par l’Assemblée nationale, victime tout à la fois de la vieille garde du PS que du rejet de la jeunesse connectée avec « On vaut mieux que ça » ? Connaîtra-t-elle le même sort que le Contrat première embauche CPE adopté avec le 49.3 par Villepin et neutralisé par Chirac, sous la pression des manifestations estudiantines ? C’était il y a tout juste dix ans.

En tout cas d’ores et déjà, le camp de ses adversaires peut se féliciter d’un ajournement de deux semaines sur le calendrier de sa présentation. Le gouvernement a sans doute été plus sensible à la mobilisation au sein de la jeunesse et un rejet inattendu de la part des contempteurs de la révolution numérique, que de la tribune signée par Martine Aubry. Oui car les jeunes internautes, les youtubers prennent à revers le courant social-libéral conduit par Hollande, Valls et Macron qui se revendiquent comme la gauche moderne qui serait la seule viable.

Pourtant les promoteurs de la contestation sur le Web ont voulu s’affranchir des canaux d’opinion marqués politiquement. Les deux ou trois porte-paroles qui se relaient devant les caméras avancent avec une prudence de sioux, mettant en avant les témoignages humains de la précarité au quotidien, les implications politiques qui découlent de leur position ils les laissent au second plan. D’ailleurs la « punch line » comme on dit aujourd’hui dans la web-sphère « On vaut mieux que ça » emprunte plutôt à la culture publicitaire, on pense évidemment « Parce que je le vaux bien », plutôt qu’à la terminologie contestataire usuelle. Et cette modération et autonomie au regard des vieilles officines et écuries politiques sont une véritable épine dans le pied de El Khomri et consorts, partisans d’un tour de visse libéral supplémentaire. En effet, ces jeunes qui sont capables d’avoir un discours articulé et argumenté, en mesure de le diffuser et de créer une plate-forme ouverte au plus grand nombre, démontrent une forte capacité d’initiative, mais qui fait remarquable n’est pas au service d’une ambition individuelle mais d’un projet collectif. Les néo-libéraux de gauche comme de droite ne pourront pas leur reprocher de se cramponner à une doxa archaïque inadaptée au monde qui change, puisqu’ils prouvent que le fait de connaître le maniement des nouveaux instruments technologiques ne les protège pas des petits boulots et du chômage.

Sans prendre une position partisane les jeunes youtubers tracent une nouvelle ligne rouge de la réalité sociale d’aujourd’hui qui enfonce le discours libéral dominant. Ce que l’on entend c’est précisément les témoignages de parcours très divers qui campent la flexibilité et la précarisation. Les défenseurs d’une refonte du droit du travail sous l’idée directrice d’une interprétation française de la flexisécurité font face à un retour à l’envoyeur sur le mode « de la flexibilité il y en a déjà suffisamment ». Le déséquilibre à l’avantage de l’employeur sur le salariat est d’abord mécanique. Avec un chômage de masse de plus de 3 millions de personnes, il n’a que l’embarras du choix parmi des demandeurs d’emploi de plus en plus qualifiés et la pression du chômage est si forte que le chantage au moins disant social est déjà à l’œuvre. La docilité ou bénévolence de peur d’être débarqué au bout d‘un contrat à durée déterminée (de plus en plus fréquents) est une réalité qui dépasse les discours des cégétistes et de la gauche de la gauche.

Une fois encore nos gouvernants veulent réformer sans avoir un langage de vérité qui assume clairement leurs objectifs. En l’occurrence la loi de réforme du droit de travail répond en vérité au problème du différentiel de compétitivité en défaveur des entreprises françaises. Autrement dit de faire en sorte que le coût du travail baisse. En avançant masqué le texte porté par la ministre El Khomri perd de sa pertinence et de sa valeur.

Antonio Moreira

 
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