Auteur: Antonio Moreira

 

Le désenchantement de la politique resurgit violemment avec la contestation de la gouvernance socialiste par la jeunesse et voilà que les parangons de la réforme font la grimace et s’écrient « décidément la France n’est pas réformable ». Attention la réforme du droit de travail, n’a que bien se tenir enflent les chœurs des réfractaires et opposants encore trop intoxiqués de gauchisme. Le fait est que l’affaire est très mal engagée : un projet de loi qui a été applaudi par un MEDEF qui encaisse les milliards du pacte responsabilité, sans rien donner en échange, accompagné de l’ensemble des leaders de la droite, ne pouvait être que suspecte aux yeux des salariés. Vision déformée d’une société menée par les antagonismes archaïques, contesteront les sociaux-libéraux qui défendent l’idée d’un consensus au-delà des clivages partisans.

Et le storytelling gouvernemental a voulu se parer de la hauteur de vue d’un grand homme d’État de gauche, Robert Badinter, en lui commandant un rapport préliminaire de manière à dépoussiérer le code du travail. Peine perdue, au final le garant moral n’a pas reconnu la pertinence et l’équilibre de ce que censément il avait inspiré. Les ambitions pédagogiques qui depuis des mois promenaient dans tous les talk-shows le code obèse de plusieurs milliers de pages ne sont pas allées au bout de la tâche. Tant qu’il n’y avait rien de tangible, il était facile de moquer et stigmatiser les pesanteurs bureaucratiques et le juridisme des institutions de la 5e république, afin d’évoquer un vent nouveau rafraîchissant. Le climat martial diffus avec l’état d’urgence incarné par les coups de menton de Valls a vidé de sa substance tout effort explicatif en annonçant qu’il était prêt à passer en force avec le 49.3 .

On ne pouvait faire plus calamiteuse comme didactique et pourtant l’affichage du mot valise flexisécurité donnait clairement à entendre l’idée de balance entre la flexibilité et la sécurité. Le trouble a été complet quand même la réformiste CFDT a réprouvé le texte, considérant que le salarié n’obtenait aucune contrepartie contre des doses de flexibilité supplémentaire. Manuel Valls a si mal jaugé l’état de l’opinion française qu’un moment il avait adopté l’argumentaire du patronat « nous devons faciliter le licenciement pour que les entreprises n’aient pas peur d’embaucher ». Les mêmes entreprises qui en échange de substantielle réductions de charges n’embauchent pas, parce que c’est le carnet de commandes qui fait l’emploi. Tout dernièrement Emmanuel Macron surgit dans le rôle du pompier expliquant que le grand dessein de la loi El Khomri n’était pas de faciliter le licenciement mais de permettre à un plus grand nombre de CDD d’accéder au CDI.

Il est fort probable que si le gouvernement fait des concessions à la CFDT et à la poignée de syndicats modérés, il décevra les espoirs du Medef et de la droite, sans pour autant calmer les plus politisés à gauche. Politiquement cela correspond à un rétrécissement de la légitimité du gouvernement au centre-gauche social libéral, voilà donc la seule sensibilité, sur tout l’éventail d’opinions que compte la société française, qui a l’oreille du monarque républicain. Godille et manque de franchise, voilà à quoi s’apparente la gouvernance de Hollande et Valls. Le discours dominant de la dérégulation a été porté de manière dissimulée par la gauche de gouvernement dans cette loi du travail dont l’enjeu ne serait rien de moins que d’inverser la courbe du chômage et une fois de plus le politique a détourné la sémantique de la langue de manière démagogique avec une flexisécurité qui n’a rien de sécurisant pour la masse de chômeurs et de travailleurs précarisés. Dans le rejet actuel, au-delà des bataillons anti-libéraux traditionnels que traduit par exemple la plate-forme « On vaut mieux que ça », il faut entendre l’exaspération de tous ceux qui ont le sentiment qu’on veut leur faire prendre des vessies pour des lanternes. Or l’histoire nous enseigne que le meilleur moyen de désamorcer les oppositions frontales c’est d’avoir un langage de vérité qui pose clairement le dilemme. L’exemple le plus célèbre est celui de Winston Churchill qui au lendemain de son élection, alors que la seconde guerre mondiale déflagrait, « je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur. »

Antonio Moreira

 
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